Quelles perspectives pour la santé numérique après la pandémie de COVID-19 ?

Satya Nadella, PDG de Microsoft, a fait remarquer1 plus tôt cette année que lors des premiers mois de la pandémie de COVID-19, « deux années de transformation numérique ont eu lieu en deux mois ». Tandis que le monde s’oriente vers le travail, le shopping et la socialisation en ligne, de nombreux aspects des soins de santé ont également été poussés à être fournis à distance. Alors que les vaccins sont déployés dans le monde entier et que nous commençons à nous pencher sur les soins de santé post-COVID, quel avenir attend la santé numérique ? Nous nous sommes entretenus avec deux des experts en santé numérique les plus expérimentés de BIOTRONIK : Ken Nelson, responsable de la santé numérique, du diagnostic et du monitorage chez BIOTRONIK US, et le Dr Naveed Khan, directeur du développement commercial et des affaires dans le domaine de la santé numérique, qui travaille au siège mondial de BIOTRONIK mais qui est actuellement basé en Australie. Nous les avons interrogés sur la manière dont la pandémie a accéléré la numérisation de la santé, sur le rôle que les appareils ambulatoires pourraient avoir dans le diagnostic et sur les prochaines étapes du monitorage à long terme de l’arythmie.
La COVID-19 a accéléré l’innovation numérique à travers le monde, notamment dans les domaines de la santé numérique et de la télémédecine. À votre avis, quels seront les effets à long terme de la pandémie ?
Ken Nelson : Le monde de la santé numérique a fait l’objet d’une pléthore d’innovations, en particulier depuis 2010, et cela s’est vraiment accéléré au cours des cinq dernières années. De nouveaux produits ont été approuvés dans le monde entier pendant des années, que ce soit par la FDA, le marquage « CE » ou d’autres instances. Mais le remboursement de ces produits n’avançait pas nécessairement au même rythme et l’adoption des technologies n’avançait pas non plus au même rythme que les approbations. La COVID nous a vraiment obligés à prendre conscience des solutions de santé numérique et à adopter ces technologies, notamment la télésanté et le monitorage à distance des patients. C’est une très bonne chose pour les patients et les systèmes de santé. Dans l’ensemble, cela contribue vraiment à l’efficacité du flux de travail, et améliore les disparités en aidant à fournir des soins à des personnes qui n’y auraient normalement pas accès. Il y aura probablement un retour à un semblant de normalité après la fin de la pandémie, mais je pense qu’une grande partie de cette innovation est là pour perdurer et continuer d’évoluer.
Naveed Khan : Je suis d’accord, une grande partie de ce changement dans la conduite de l’innovation dans les solutions de santé numérique est probablement permanente — surtout si le virus devient endémique et ne disparaît jamais complètement. C’est un état différent de la « normalité » qui continuera à stimuler la numérisation en cours. À titre d’exemple, si la télésanté existe depuis longtemps en Australie, il était difficile d’en obtenir le remboursement depuis une dizaine d’années. La COVID-19 a rapidement fait de cette nécessité une réalité. Aujourd’hui, les médecins et les patients affirment que c’est pratique et que cela n’empire pas la situation.

Avec la COVID, la demande de solutions de télésanté et de monitorage à distance des patients a explosé et c’est là qu’est apparue la révolution de la santé numérique que nous connaissons. Les patients, les médecins et le personnel hospitalier sont devenus plus à l’aise avec les technologies de santé numérique, et, désormais, la révolution de la santé numérique s’accélère.
Pensez-vous que la pandémie a rendu les patients et les médecins plus ouverts à ces technologies ?
Ken Nelson : Je pense que certaines personnes ont pu être un peu intimidées par la télésanté au début ou n’en comprenaient pas tous les avantages. Puis nous nous sommes soudainement retrouvés dans une situation où elle est devenue indispensable pour soigner les patients. Le secteur disposait déjà de nombreuses solutions de santé numérique prêtes à être utilisées immédiatement. Avec la COVID, la demande de solutions de télésanté et de monitorage à distance des patients a explosé et c’est là qu’est apparue la révolution de la santé numérique que nous connaissons. Les patients, les médecins et le personnel hospitalier sont devenus plus à l’aise avec les technologies de santé numérique, et, désormais, la révolution de la santé numérique s’accélère. Les médecins et le personnel clinique se sont inquiétés du fait que les patients plus âgés ne seraient pas en mesure de s’adapter à certaines de ces technologies. Mais au cours de cette pandémie, nous avons constaté que les patients ont modifié leur comportement et se sont adaptés.
Il est certain qu’il y aura aussi des avantages durables après la pandémie. Par exemple, les patients peuvent rester chez eux et ainsi éviter les frais de transport et la perte de temps dans les transports qu’implique une visite chez le médecin. C’est particulièrement utile pour les patients aux faibles revenus, vivant loin de leur clinique, ou les deux. Le remboursement a également contribué à rendre la télésurveillance et les autres technologies numériques plus tangibles pour les patients et les cliniques. Il est étonnant de voir à quelle vitesse les solutions de santé numérique se sont transformées et ont été adoptées au cours des 18 derniers mois environ.
Naveed Khan : Un plus grand nombre de médecins apprécient assurément les avantages d’un suivi sûr et assisté par la Téléc@rdiologie de leurs patients, et une grande partie de leur scepticisme antérieur s’est dissipée. Rien qu’en Australie, nous sommes passés d’environ cinq pour cent d’utilisation du monitorage à distance à plus de trente pour cent en très peu de temps. Maintenant que les avantages de la santé numérique sont plus évidents, il sera plus difficile de revenir en arrière.
L’évolution de la santé numérique présente également un autre aspect. Les médecins doivent examiner une grande quantité d’informations et de données provenant de la télésurveillance. L’une des questions les plus pressantes dans le domaine de la santé numérique est de savoir comment optimiser ce processus pour faciliter au maximum l’examen. La façon dont les médecins sont formés et dont les cabinets sont organisés aujourd’hui ne correspond pas toujours à ce qu’il faut pour gérer avec succès une clinique à distance. Je pense que nous constaterons que la pandémie a accéléré le changement dans la façon dont les médecins organisent leurs pratiques pour intégrer davantage de numérisation et de technologie.
Les patients semblent cependant apprécier cela et, pour illustrer les propos de Ken, un grand nombre de nos patients en Australie vivent dans des régions très éloignées. C’est un grand pays, peu peuplé, et certains patients habitent très loin d’une clinique. S’ils n’ont pas à se déplacer et que leur suivi peut être effectué à distance en toute sécurité, ils en sont très heureux. Ils veulent seulement être assurés de ne pas être lâchés dans la nature.

Avec la COVID, la demande de solutions de télésanté et de monitorage à distance des patients a explosé et c’est là qu’est apparue la révolution de la santé numérique que nous connaissons. Les patients, les médecins et le personnel hospitalier sont devenus plus à l’aise avec les technologies de santé numérique, et, désormais, la révolution de la santé numérique s’accélère.
À l’heure où de plus en plus de personnes utilisent des appareils ambulatoires et où de plus en plus de chercheurs étudient leurs avantages potentiels, quel est le rôle des outils de diagnostic et de monitorage de haute qualité ?
Ken Nelson : En fin de compte, nous devons nous rappeler qu’il y a une différence entre les produits de qualité grand public et les produits de qualité clinique en termes de précision de diagnostic. Les produits de qualité grand public, comme le tracker de santé d’une montre intelligente, n’auront pas la même précision diagnostique pour des choses comme la fibrillation auriculaire qu’un moniteur de qualité clinique. Mais cela ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas être utiles dans certains cas. Dans la plupart des cas, les médecins ne prendront pas de décisions thérapeutiques importantes sur la base d’une bande de rythme de 30 secondes fournie par une montre intelligente. Les montres grand public ne peuvent tout simplement pas fournir la qualité de données nécessaire pour cela. Par exemple, si vous examinez la fibrillation auriculaire, vous n’obtenez aucune charge en FA, vous n’êtes pas en mesure de voir le début soudain ou le décalage, et le taux de faux positifs est généralement important avec les montres intelligentes. Elles sont donc utiles en tant que dispositif de dépistage, mais ces patients se verront généralement prescrire un moniteur cardiaque prolongé à plus long terme, le plus souvent un patch ou, dans certains cas, selon l’indication, des moniteurs cardiaques insérables (MCI). Un autre inconvénient à prendre en compte est que les faux positifs générés par les appareils ambulatoires grand public sont suffisamment nombreux pour que les patients finissent par s’inquiéter d’une maladie dont ils ne souffrent pas en réalité. Il existe également un risque que les médecins se retrouvent inondés de données qui ne sont pas forcément utiles pour diagnostiquer leurs patients. C’est pourquoi il est si important pour les médecins de recevoir des conseils appropriés de la part des sociétés de cardiologie du monde entier en ce qui concerne les alertes importantes provenant des appareils ambulatoires ou d’autres appareils grand public qu’ils devraient examiner.
Naveed Khan : Comme Ken l’a souligné, malheureusement, une grande partie des données provenant des appareils ambulatoires ne sont que du bruit. Les patients viennent voir leur médecin pour lui faire part de leurs inquiétudes, mais la qualité des relevés est souvent insuffisante pour que les médecins puissent agir. Mais la technologie dans ce domaine ne cesse de s’améliorer, ce qui pose le problème de la manière dont les cabinets médicaux peuvent s’organiser pour faire face à cette charge d’examen des données. De nombreux cabinets ne sont pas encore prêts pour cela et c’est là que le secteur peut apporter son aide en proposant des services qui permettent de gérer toutes les données.

Selon vous, quelles seront les prochaines étapes pour les outils de diagnostic et de monitorage de qualité clinique ?
Ken Nelson : J’aime à penser que nous sommes à l’aube d’une nouvelle vague révolutionnaire sur le marché des produits insérables, et d’une évolution majeure de cette technologie — d’un enregistreur en boucle implantable à un moniteur cardiaque insérable (MCI), en passant par un moniteur de signes vitaux insérable. Mais il y a aussi beaucoup à dire sur l’utilisation accrue des technologies actuelles. Nous estimons qu’environ un tiers seulement des patients victimes d’un AVC cryptogénique sont surveillés à l’aide d’un MCI, laissant de côté un grand nombre de patients susceptibles de bénéficier d’une détection précoce de toute fibrillation auriculaire. Selon le patient, il est également possible d’utiliser un MCI si ce dernier a subi une ablation, afin de contrôler et vérifier si les arythmies auriculaires reviennent. Le BIOMONITOR IIIm de BIOTRONIK est doté d’un excellent système de détection et génère des données de grande qualité, et je pense qu’au cours des prochaines années, les médecins seront de plus en plus assistés dans l’analyse de ces données.
Naveed Khan : La plupart des médecins sont simplement accablés par la trop grande quantité de données à examiner, généralement hors du contexte clinique, même lorsqu’il s’agit de produits de qualité clinique, avant de considérer les appareils ambulatoires. Il sera donc toujours nécessaire d’affiner la technologie de monitorage sous-jacente afin d’accroître la précision et la spécificité des lectures, et de mieux les intégrer au flux de travail clinique. Nous n’y parviendrons pas du jour au lendemain. Mais comme nous l’avons suggéré, la prochaine frontière de la santé numérique à cet égard consiste à mettre en place des services pionniers, entièrement ou partiellement automatisés par l’intelligence artificielle, qui peuvent aider les médecins à gérer les flux de travail. Ce processus doit être basé sur les indications du patient à l’échelle, avec une précision diagnostique très élevée. C’est déjà le cas pour les diagnostics et le monitorage de l’arythmie en particulier, et cela va probablement s’étendre à d’autres états pathologiques.
2. https://www.hrsonline.org/news/press-releases/CTA-HRS